Article de François DEHONDT, conservateur bénévole de la RNN
Les Tetrigidae sont une famille singulière d’insectes du sous ordre des Caelifera, qui regroupe tous les criquets. Habituellement appelés tétrix, ils sont représentés en Champagne-Ardenne par sept espèces du genre Tetrix. Ils se caractérisent par la très petite taille de leurs imagos ("pygmy grasshoppers" en anglais), une épine pronotale allongée sur l’abdomen qui recouvre ou dépasse les ailes, des élytres en forme d’écusson et deux encoches sur l’arrière des paranota, ces deux derniers traits anatomiques étant importants pour bien distinguer les imagos des larves, qu’il n’est pas possible de déterminer à l’espèce. Pionniers et géophiles, ils colonisent essentiellement des milieux pionniers de sol dénudé, des vases humides aux roches sèches selon les espèces, en passant pour certains d’entre eux par des lisières forestières moussues. Ils se nourrissent essentiellement d’algues, de mousses et de lichens, ainsi que de microdébris végétaux et mycéliens et de matières plus ou moins humifiées. Ces criquets se caractérisent aussi par l’absence d’émission sonore audible à l’oreille, mais communiquent entre eux par des vibrations occasionnées par le tambourinage du sol à l’aide des pattes antérieures et médianes et de l’abdomen, par balancement simultané du pronotum et des pattes postérieures (« pronotal bobbing »), et par tremblement des ailes sans que l’on sache vraiment s’il s’agit d’un mode de communication visuel ou vibratoire. Cette famille a la réputation (pour partie justifiée) d'être difficile à déterminer et à détecter, mais les outils de détermination vont en s'améliorant et suscitent l'éveil de la curiosité et la démythification de ce taxon, qui comme beaucoup d’autres devient subitement visible une fois qu’on se l’est « mis dans l’œil ».
Trois espèces sont liées aux zones humides : le tétrix riverain Tetrix subulata, le tétrix des vasières T. ceperoi et le tétrix caucasien T. bolivari. Elles ont une physionomie très similaire, avec une longue épine pronotale qui recouvre deux paires d’ailes longues, au moyen desquelles les adultes vont rapidement s’abriter dans les hautes herbes quand on les dérange sur les berges où elles se nourrissent. Si la première et la seconde se distinguent aisément, la troisième présente des critères intermédiaires, au point qu’on en a souvent fait le « chaînon manquant » entre les deux autres. Heureusement, un critère récemment mis en évidence permet de façon certaine et simple de les distinguer.
Espèce méridionale, le tétrix caucasien est très rare et localisé en Champagne-Ardenne, comme dans toute la moitié nord de la France. Absent de plusieurs régions, il se rencontre au sud de la Haute-Marne.
Sa présence a été suspectée en 2021 sur les pâtis. L’identification certaine nécessitant la capture et la validation de la donnée la transmission d’individus à un expert tiers, une demande de dérogation au décret de création de la réserve naturelle nationale des pâtis d’Oger et du Mesnil-sur-Oger a été faite au Sous-Préfet de la Marne, qui l’a accordé après avis favorable du gestionnaire et du comité consultatif de gestion. Dès la première visite, le 30 avril 2022, François DEHONDT a pu faire la capture et la détermination d’un mâle, dont l’identification a été validée par Jean-Philippe COUASNE.
Il peut sembler paradoxal de qualifier de rare une espèce difficile à déterminer. Cependant, tous les spécialistes qui examinent régulièrement des tétrix dans nos régions s’accordent sur le fait qu’ils n’ont pas vu l’espèce. Le contexte de la découverte dont il est question ici illustre bien que l’espèce est assez facilement détectable.
La proximité des critères morphologiques semble aussi valoir pour les préférences écologiques, et le tétrix caucasien n’est jamais présent sans un de ses cousins, voire les deux. Et par chance les trois espèces sont bien présentes sur les pâtis, ce qui en ferait un excellent site d’étude de ce qui les distingue précisément, et ainsi apporter quelques réponses aux questions sur les facteurs écologiques déterminants : le substrat ? L’exposition ? La réserve naturelle nationale continuerait son rôle de laboratoire à ciel ouvert pour la biodiversité, pour un savoir qui pourrait être partagé avec tous les gestionnaires.